Analyse critique du discours : méthode complète, exemples + modèle Word
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Comprendre un discours ne se limite pas à “ce qui est dit”. L’enjeu est d’identifier ce qui est montré, sous-entendu, cadré, légitimé — et avec quels procédés. Ce guide propose une méthode opérationnelle, alignée sur une approche pédagogique claire : règle explicite → pratique guidée → réemploi. Il s’accompagne d’une grille d’analyse, d’un barème et d’un cas pratique rapide.
1) Définir le “discours” à analyser
Analyser un discours, c’est mesurer l’écart entre ce qui est dit et ce qui est fait dire au lecteur, à l’auditeur ou au spectateur. Un texte, une vidéo, une déclaration ou une campagne ne se résument jamais à des informations : ils mobilisent une mise en scène, une logique, des émotions, des signes visuels et sonores, parfois des chiffres, le tout pour produire un effet précis. L’analyse critique permet d’identifier cette visée, d’évaluer la qualité de l’argumentation et de formuler un jugement motivé. Elle ne se contente pas d’un résumé ; elle reconstitue l’architecture du sens et interroge la manière dont cette architecture influence la réception.
Dans ce guide, “discours” désigne tout énoncé finalisé qui cherche un effet sur un public : article ou édito, intervention politique, tribune, campagne publicitaire, note de blog, vidéo, post de réseau social, affiche ou visuel. Trois questions d’entrée :
- Qui parle (ou signe) ? Rôle, ethos, intérêts.
- À qui ? Cible(s) et attentes supposées.
- Pour quoi faire ? Finalité dominante : informer, convaincre, mobiliser, vendre, divertir.

2) La méthode en 9 axes (grille opératoire)
Une analyse opérationnelle gagne à suivre une progression stable. D’abord, un résumé fonctionnel de cinq à sept lignes restitue l’idée centrale, le contexte et ce que l’énonciateur demande au public. Ensuite, la thèse et la problématique sont formulées explicitement : quelle position défend-on et à quelle question prétend-on répondre. Viennent alors les arguments principaux, classés par nature : preuves logiques (enchaînement cause-conséquence), exemples, analogies, appuis d’autorité (experts, institutions), données chiffrées. On identifie dans la foulée les contre-arguments anticipés, les concessions, mais aussi les zones d’ombre ou de silence.
g r i l l e o p é r at o i r e
L’analyse se poursuit par l’examen concerté des registres ethos, pathos et logos : image de soi projetée, émotions convoquées, construction rationnelle. Elle inventorie les procédés rhétoriques employés, observe les choix linguistiques (connecteurs, modalisation, énonciation, temps, syntaxe, lexique) et prend au sérieux le dispositif de diffusion : titraille et iconographie pour l’imprimé, architecture et appels à l’action pour le web, prosodie, montage et cadrage pour l’audio-vidéo. Enfin, l’évaluation critique s’appuie sur ces constats pour juger la validité des preuves, la crédibilité des sources, les biais et sophismes éventuels, ainsi que les enjeux éthiques.
9 axes
Axe 1 — Résumé fonctionnel (5–7 lignes). Reconstituer l’idée centrale, le contexte, les actions demandées au public.
Axe 2 — Thèse & problématique. Formuler la position défendue et la question à laquelle le discours prétend répondre.
Axe 3 — Arguments principaux. Classer par logique (déduction, causalité), exemple, analogie, autorité (experts, institutions), chiffres.
Axe 4 — Contre-arguments & zones d’ombre. Ce qui est réfuté, minoré, passé sous silence.
Axe 5 — Stratégies discursives (Ethos/Pathos/Logos).
- Ethos : image projetée (crédible, proche, savante).
- Pathos : émotions convoquées (peur, fierté, compassion).
- Logos : enchaînement raisonné, preuve, démonstration.
Axe 6 — Procédés & figures. Anaphore, antithèse, hyperbole, métaphore, ironie, euphémisme, énumération, question rhétorique, intertextualité, déictiques (ici, nous, maintenant).
Axe 7 — Linguistique ciblée. Connecteurs (cause, concession, conséquence), modalisation (peut, semble, sans doute), énonciation (je/nous/on), temps (présent de vérité générale, injonctions), syntaxe (périodes longues/courtes), lexique (champs, connotations).
Axe 8 — Dispositif & support. Titraille, mise en page, iconographie (print), liens, call-to-actions, hashtags (web), prosodie/montage/cadrage (audio-vidéo).
Axe 9 — Évaluation critique. Validité des preuves, crédibilité des sources, biais (idéologique, confirmation, cadrage), sophismes (ad hominem, épouvantail, fausse cause, pente glissante, appel à la popularité), enjeux éthiques.
3) Procédés récurrents à repérer (et quoi en faire)
Ethos, pathos, logos : un triptyque indissociable
Chaque discours équilibre image, émotion et raison. L’ethos concerne la posture : un locuteur peut se mettre en scène comme expert, témoin ou citoyen ordinaire ; il gagne ou perd en crédibilité selon la cohérence entre ton, références et promesses. Le pathos touche les affects : peur, fierté, compassion, indignation. Il n’est pas illégitime de convaincre par l’émotion, mais l’analyse examine si l’émotion sert une démonstration ou masque une faiblesse probatoire. Le logos, enfin, porte la charpente argumentative : connecteurs adéquats, enchaînements non circulaires, compatibilité des exemples avec la thèse, pertinence des analogies. On ne critique pas l’usage d’un seul registre ; on décrit la combinaison et on en mesure l’effet persuasif réel.
- Anaphore : martèle une idée. Interroger l’effet (renforcement / simplification).
- Antithèse / oxymore : polarise ou nuance ?
- Hyperbole / euphémisme : déforme l’échelle des faits ?
- Métaphore / métonymie : rend concret, mais peut orienter la lecture.
- Question rhétorique : fait croire à l’évidence.
- Déictiques (ici, nous) : fabriquent un nous inclusif ou excluant.
Réflexe d’analyste : pour chaque procédé, demander fonction + effet (“Quel gain persuasif ? Au prix de quelles pertes d’exactitude ?”).
4) Les six connecteurs qui changent tout
La solidité d’un discours se lit dans ses coutures. Les connecteurs de cause, de conséquence, de concession, de but, d’opposition et d’ajout orchestrent l’enchaînement des idées. Un filet de “donc” sans prémisses vérifiables, une concession qui n’altère rien, une causalité posée là où ne figure qu’une corrélation : autant de signaux d’alerte. Relire en neutralisant les connecteurs permet de tester la robustesse de la logique ; si l’argumentation se défait, le liant rhétorique masquait un vide.
- Cause (parce que, puisque, en raison de…)
- Conséquence (donc, ainsi, c’est pourquoi…)
- Concession (certes, bien que, quoique…)
- But (afin de, pour que…)
- Opposition (mais, toutefois, cependant…)
- Ajout (de plus, en outre…)
Vérifier si l’enchaînement tient sans “trou logique” ou glisse vers un raisonnement circulaire.
5) Biais et sophismes : mini-mémento
Tout discours cadre le réel. L’analyse recense les biais probables : cadrage sélectif, confirmation, halo d’autorité. Elle pointe les sophismes fréquents : ad hominem (attaquer la personne), épouvantail (caricaturer la thèse adverse), fausse cause (confondre corrélation et causalité), généralisation hâtive (ériger le singulier en règle), pente glissante (enchaîner des effets catastrophes sans preuve), appel à la popularité ou à la tradition (invoquer le nombre ou l’habitude comme preuve). La question directrice demeure la même : quelle preuve indépendante appuie réellement l’affirmation ?
- Ad hominem : attaquer la personne plutôt que l’argument.
- Épouvantail : caricaturer la thèse adverse pour la “battre” facilement.
- Fausse cause : corrélation prise pour causalité.
- Généralisation hâtive : cas singulier → règle générale.
- Pente glissante : prédire un enchaînement d’effets extrêmes sans preuves.
- Appel à la popularité / tradition : “tout le monde le dit”, “on a toujours fait ainsi”.
Question directrice : quelle preuve indépendante appuie l’affirmation ?
6) Étude de cas express (exemple fictif)
Imaginons un extrait qui affirme soulager “immédiatement” les familles grâce à un plan composé d’un gel tarifaire, d’une prime et d’un soutien aux commerces, et qui ajoute que “les experts confirment l’efficacité” tandis que “refuser ce plan condamnerait les plus fragiles”. L’analyse relève une thèse claire — adopter le plan —, un public ciblé — familles et électorat urbain —, et une combinaison de logos (mesures concrètes), d’autorité (experts non identifiés) et de pathos (mise en tension morale). Les procédés dominants sont l’énumération ternaire, l’antithèse implicite entre action et refus, le cadrage moral qui associe opposition et indifférence aux fragiles. Le risque, ici, tient à l’appel à l’autorité flou et au faux dilemme : une seule voie présentée comme moralement acceptable. Un jugement motivé exigera des chiffres, des sources et l’examen d’alternatives partielles.
Extrait. « Face aux hausses de prix, notre plan soulage immédiatement les familles : gel des tarifs de transport, prime énergie et soutien aux commerces de quartier. Les experts confirment l’efficacité de ces mesures. Refuser ce plan, c’est condamner les plus fragiles à des sacrifices inutiles. »
Analyse (condensée).
- Thèse : adopter le plan présenté. Public : familles + électorat urbain.
- Arguments : (1) mesures concrètes (gel/primes/soutien) → logos ; (2) caution “experts” → autorité ; (3) cadrage moral (pathos) : “refuser = condamner les fragiles”.
- Procédés : énumération ternaire (rhythme), antithèse implicite (agir / refuser), glissement moral (dissocier opposition = immoralité).
- Biais potentiels : appel à l’autorité flou (qui sont les experts ?), faux dilemme (plan unique vs abandon des fragiles).
- Question critique : preuves chiffrées (coût, financement, indicateurs de résultats) ? Alternatives partielles ?
7) Déroulé pédagogique clé en main (45 à 60 min)
Un déroulé efficace tient dans une séance de quarante-cinq à soixante minutes. L’échauffement situe type, cible et finalité.
La lecture active surligne thèse, arguments et connecteurs. Grille d’analyse, travaillée en binômes, consolide l’examen des procédés et de la linguistique. La mise en commun extrait deux forces, deux limites et une question en suspens. Puis, la production finale prend la forme d’un paragraphe d’évaluation qui recommande, en toute responsabilité, d’adopter, d’adopter avec réserves ou de refuser, en motivant chaque choix. Cette cadence, répétée au fil des séances, installe des réflexes d’enquête et des automatismes de rédaction.
1. Échauffement (5 min). Identifier type, cible, finalité du discours (post-it, mains levées).
2. Lecture active (10 min). Souligner thèse, arguments, connecteurs.
3. Grille d’analyse (15–20 min). Travailler en binômes sur les axes 3→7 (arguments, procédés, linguistique).
4. Mise en commun (10 min). Lister 2 forces, 2 limites, 1 question non résolue.
5. Production critique (10–15 min). Par groupe, rédiger un paragraphe d’évaluation (axe 9) + recommandation : “à publier tel quel / à publier avec réserve / à refuser (motivé)”.
8) Rédiger une conclusion critique solide (gabarit)
Une bonne conclusion ne paraphrase pas, elle tranche. Elle rappelle la thèse analysée, énonce deux forces et deux limites majeures, puis formule une appréciation : pertinent pour tel objectif, insuffisant pour tel autre, à compléter par telle donnée. Elle se termine par une ouverture concrète : la preuve qui manque, l’indicateur à suivre, la question restée sans réponse. Cette posture engageante évite le relativisme mou et donne au lecteur les moyens d’ajuster son propre jugement.
- Rappel de la thèse : “Le discours soutient que…”
- Forces : “Appui sur X, clarté du Y, articulation Z…”
- Limites : “Biais probable…, causalité fragile…, données absentes…”
- Jugement motivé : “Pertinent pour…, insuffisant pour…, à compléter par…”
- Ouverture : préciser la preuve décisive qui ferait évoluer l’avis.
9) Barème indicatif (sur 40 → conversion /20)
Pour rendre la démarche mesurable, il est utile d’adosser l’exercice à des critères récurrents. La compréhension et la problématisation valident la maîtrise du contexte et la justesse de la question. L’argumentation vérifie la capacité à classer, qualifier et hiérarchiser les raisons avancées, en mentionnant des extraits courts lorsque c’est possible. Les procédés et la linguistique gagnent en pertinence quand ils sont reliés à leurs effets concrets sur la persuasion. L’évaluation critique mesure la vigilance face aux biais, la qualité des preuves et l’attention portée aux implications éthiques. L’expression et la structure jugent la clarté, la cohérence et la correction linguistique. Convertir ces critères en barème — par exemple sur quarante points convertibles en vingt — permet des comparaisons et des progrès visibles.
- Compréhension & problématisation (5 pts) : contexte, thèse, question clairement posés.
- Argumentation (10 pts) : repérage et qualification des arguments + contre-arguments.
- Procédés & linguistique (10 pts) : procédés identifiés et mis en relation avec l’effet persuasif ; analyse des connecteurs, de la modalisation et de la syntaxe.
- Évaluation critique (10 pts) : biais, sophismes, qualité des preuves, enjeux éthiques.
- Expression & structure (5 pts) : clarté, organisation, correction orthographique et typographique.
10) Checklist de relecture
- Thèse reformulée sans déformation.
- Arguments classés par nature (autorité, exemple, logique) avec au moins un extrait cité.
- Deux procédés expliqués par leur fonction (pas seulement nommés).
- Un biais ou sophisme discuté.
- Conclusion qui tranche (pas une paraphrase).
Ce qu’il faut retenir
Décrire, expliquer, évaluer : l’ordre compte. Décrire sans expliquer rate l’intention ; expliquer sans évaluer autorise tout et son contraire. L’analyse critique du discours exige de rendre visibles les ficelles sans mépriser la mise en scène, d’apprécier la puissance persuasive sans renoncer à l’exigence de preuve, et d’assumer un jugement motivé qui dise à la fois ce qui tient et ce qui manque. C’est cette discipline intellectuelle, patiente et méthodique, qui permet non seulement de comprendre les discours, mais aussi d’en produire de meilleurs.
- Décrire → Expliquer → Évaluer : trois temps, pas un seul.
- Procédés = instruments, ce qui compte est l’effet et le coût en précision.
- Une bonne conclusion prend position et dit quelle preuve manque.







