Exemple de commentaire composé corrigé — Molière, Dom Juan, Acte I, scène 2
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On n’entre pas dans Dom Juan par la porte du héros, mais par l’œil inquiet de Sganarelle. Molière choisit l’obliquité : présenter l’« impie » en son absence, sous la formule qui claque et demeure — « grand seigneur méchant homme ». D’un seul heurt d’adjectifs, la pièce plante sa contradiction : l’éclat du rang et la cavité morale marchent ensemble. La prose vive, la verve du valet, l’allure de farce composent une gaieté qui ne rassure pas tout à fait ; on rit, mais ce rire regarde déjà ailleurs, vers quelque chose qui gronde.
Demeure alors la question qui va guider la lecture : comment ce portrait à distance fabrique-t-il un rire inquiet, capable de désacraliser le héros et d’annoncer sa chute ? La charge comique y retourne la grandeur sociale, la rhétorique y dessine une domination par la parole, et sous la fanfare verbale affleure déjà l’ombre d’un châtiment.
Sujet guidé, méthode intégrée, rédigé et annoté
Ici, on propose un exemple entièrement rédigé et corrigé de commentaire composé, fondé sur l’incipit scénique où Sganarelle dresse devant Gusman le fameux portrait de son maître : « un grand seigneur méchant homme ». L’objectif est double : montrer comment écrire un commentaire vivant et rigoureux, et pourquoi chaque choix d’écriture est pertinent. Les annotations entre crochets — [Procédé], [Effet], [Intention] — servent de balises de compréhension.
1) Présentation rapide de l’extrait et problématique
Le passage s’inscrit au début de la pièce : Molière choisit de présenter Dom Juan en son absence, par la bouche de son valet. Cette entrée oblique installe un point de vue comique et critique. La formule « grand seigneur méchant homme » claque comme un verdict et condense la contradiction qui portera toute la pièce.
Problématique. Comment Molière transforme-t-il ce portrait inaugural en un rire qui inquiète déjà ?
Annonce de plan. On montrera d’abord la vigueur comique du réquisitoire, puis la mise en scène d’une parole qui domine, avant de mettre au jour l’ombre morale qui affleure sous la verve.
2) Commentaire composé rédigé
I. Un réquisitoire comique qui frappe net
D’emblée, la parole de Sganarelle prend des allures de pamphlet farcesque : on rit parce que l’outrance soulage la peur. La pointe « grand seigneur méchant homme » juxtapose prestige et bassesse, et déshabille la grandeur sociale par simple choc de mots [Procédé : antithèse ; Effet : contradiction spectaculaire]. Le valet, en moraliste improvisé, empile les griefs — inconstance, impiété, appétit de conquêtes — selon un mouvement d’accumulation qui grossit le trait sans le rendre creux [Procédé : hyperbole/énumération ; Effet : rire chargé]. Cette verve « qui déborde » n’est pas décorative : elle mord. En confiant le réquisitoire à un personnage subalterne, Molière renverse la hiérarchie : la comédie tient la noblesse en joue [Procédé : renversement comique ; Effet : satire sociale].
Ce comique reste pourtant réglé : la scansion vive des répliques, l’alternance des notations morales et des piques ironiques, composent une énergie de foire qui attire le public et en même temps déplace son regard vers la faille du héros. Le rire n’annule pas la critique ; il la rend audible.
Note de correction. On évite de « raconter » les reproches de Sganarelle un à un. On regroupe par effets : antithèse qui choque, accumulation qui gonfle, renversement qui pique. Chaque citation est courte et immédiatement commentée.
Transition. Si l’attaque amuse par sa charge, elle intrigue par sa cohérence : ce portrait ne s’éparpille pas, il mime une logique. Passons du contenu des reproches à la stratégie d’une parole qui domine.
II. Le langage comme pouvoir : dominer, c’est régler la parole
Même absent, Dom Juan parle à travers son valet. Sganarelle imite sa mécanique : séduire, jeter, repartir — « je veux », « il faut », ces marqueurs d’autorité verbale soulignent une volonté impérative [Procédé : modalisation ; Effet : domination]. La syntaxe saccadée que le valet attribue à son maître figure la cadence du prédateur : promesse, possession, oubli. Dans cet atelier de rhétorique, la parole n’est ni neutre ni transparente ; elle piège.
Molière fait alors du théâtre du langage un miroir ironique : lorsque Sganarelle moralise trop, son excès ressemble à ce qu’il blâme. La scène exhibe les masques : le valet sermonneur devient un peu comique par sa propre pompe, et le public apprend à se méfier des mots qui brillent [Procédé : mise en abyme comique ; Effet : distance critique].
Le résultat est net : à ce stade, nous ne connaissons pas encore Dom Juan par lui-même, mais nous savons comment il prendra la scène — par la voix, en imposant rythme et tempo.
Note de correction. Un bon axe ne liste pas seulement des procédés (modalisation, rythme) ; il dit l’enjeu : ici, la parole comme instrument de domination. Les exemples n’illustrent pas « le cours », ils prouvent l’idée.
Transition. De la verve aux masques, la ligne se tend : sous le brillant, on devine une ombre. Reste à mesurer ce que le comique n’efface pas.
III. La gaieté sous tension : la gravité affleure déjà
Le rire désacralise Dom Juan, mais il n’endort pas l’inquiétude. Sganarelle convoque, à mots à peine couverts, l’idée d’impie, de châtiment possible ; la charge sème des signes d’orage [Procédé : lexique religieux ; Effet : menace en sourdine]. Le valet parle trop, c’est vrai, mais il tremble : sa prolixité colmate la peur d’être entraîné trop loin. Molière installe ainsi un horizon tragique dans la comédie — horizon qui se matérialisera plus tard par la statue et le souper.
Ce mélange des tons — rieur et grave — organise la lecture de la pièce : on viendra pour rire, on restera pour juger. Le portrait n’est donc pas une simple caricature : c’est un avertissement. Et lorsque la mécanique verbale du séducteur se heurtera à un silence qui répond — celui du Commandeur —, le spectateur comprendra que la parole ne suffit plus.
Note de correction. L’axe III ne doit pas « répéter en plus grave » : il met au jour un effet nouveau (ici, le tragique en germe), déjà lisible dans les mots et le rythme.
SYNTHESE
L’ouverture de Dom Juan réussit un double coup : faire rire par la verve d’un valet qui charge, et inquiéter par la logique d’une parole qui domine et par l’ombre d’un châtiment. Le portrait inaugural, en antithèse éclatante, donne la clef de la pièce : grandeur affichée, morale trouée. En replaçant ce passage dans l’ensemble, on voit combien Molière accorde le comique et la censure pour dresser — puis faire tomber — l’idole du libertinage.
Ouverture. On peut prolonger par la scène du Pauvre (III,1), où l’impiété quitte le discours pour devenir geste : l’aumône refusée change le rire en malaise.
3) Pourquoi ce commentaire « fonctionne » : explications de méthode
L’analyse ne raconte pas ; elle montre comment le texte produit ses effets. Chaque paragraphe s’ouvre par une idée directrice en phrase pleine (ce que fait le texte), vient ensuite la preuve courte (« grand seigneur méchant homme », « je veux »), puis l’interprétation précise (Effet : satire, domination, menace). Les transitions referment et ouvrent, la conclusion répond clairement à la problématique avant de proposer une ouverture sobre.
4) Variante de plan tout aussi recevable
Avant de décliner une alternative, il est utile de rappeler que le plan suit la problématique : changer l’une suppose de reformuler l’autre avec précision.
- Problématique bis. En quoi le portrait indirect prépare-t-il la chute du héros ?
- Axes possibles.
I) Le portrait à distance : un cadrage satirique efficace
II) La rhétorique comme moteur de l’action dramatique
III) La prophétie discrète d’un châtiment inévitable
5) Mini-grille d’auto-évaluation (à cocher)
Avant de dérouler des cases, on se donne une règle simple : chaque coche correspond à un gain de clarté.
- Problématique claire et ciblée sur l’extrait.
- Idée directrice formulée en phrase pour chaque axe.
- Citations courtes (3–10 mots) intégrées dans la phrase.
- Analyse immédiate après la citation (Procédé → Effet).
- Transitions présentes ; conclusion répond et ouvre.
- Langue sobre et précise.
6) Amorce réutilisable (intro-type à adapter)
Il est toujours plus efficace de partir d’une phrase qui respire plutôt que d’un « copier-coller » scolaire. On propose ici une amorce modulable.
On n’entre pas dans Dom Juan par une porte grand-ouverte, mais par un regard : celui de Sganarelle. De ce poste avancé, la pièce choisit de montrer avant de démontrer, d’amuser avant d’accuser. Le portrait inaugural — « grand seigneur méchant homme » — donne le ton : la comédie retourne la grandeur sociale en alarme morale. On se demandera comment Molière transforme cette charge en rire inquiet, en observant la vigueur satirique du réquisitoire, la stratégie d’une parole dominatrice et l’ombre déjà sensible d’un châtiment.


Approfondir, varier, s’entraîner
On a posé la méthode et un exemple rédigé (I,2). Poursuivons avec des applications brèves à d’autres scènes, un atelier “preuve → effet”, un paragraphe modèle prêt à réemployer, des sujets-types, et une grille de relecture qui aide à gagner des points sans gonfler le texte.
1) Mini-commentaire rédigé — III,1 : la scène du Pauvre (version courte)
La pièce ralentit. Face au Pauvre, Dom Juan n’a plus l’alibi de la séduction : le dialogue met à nu l’impiété active. Le refus de l’aumône n’est pas un détail ; il défait la façade de brillant en geste sec. Le lexique moral durcit, le rythme se coupe, et le spectateur comprend que le libertinage n’est pas seulement un jeu d’esprit : c’est une position de principe. On ne rit presque plus : le comique se retire, la gêne reste.
Le pouvoir du passage tient à une inversion d’adresse. D’ordinaire, Dom Juan parle « vers le haut » (Dom Louis, Commandeur) ou « vers le bas » (valets, créanciers) ; ici, il parle « à l’horizontal », à un homme sans défense. Le refus balaie toute rhétorique charmeresse et pose l’inhumain. Ce qui frappait par l’esprit devient froid par la logique. La pièce ancre ainsi le fil tragique annoncé dès l’ouverture : la parole souveraine se change en silence moral.
Bilan. Cette scène réoriente la lecture : le libertinage cesse d’être posture brillante, il devient éthique du refus, et prépare l’impossible compromis de la fin.
2) Atelier express — transformer une preuve en effet
Avant d’énumérer, prenez une respiration. Une bonne analyse tient en une phrase qui lie le signe et la portée.
- Preuve : « je veux » / « il faut ».
Effet. Modalisation autoritaire : la phrase installe une volonté souveraine, l’autre n’existe que comme instrument. - Preuve : « grand seigneur méchant homme ».
Effet. Antithèse « rang / morale » : la grandeur sonne creux, Molière fait claquer la contradiction dès l’attaque. - Preuve : refus de l’aumône (III,1).
Effet. Le libertinage devient geste irrévocable : le comique recule, l’inquiétude éthique prend la main. - Preuve : politesse excessive avec Monsieur Dimanche (IV,3).
Effet. Hypocrisie chorégraphiée : payer en paroles, congédier en souriant ; le langage remplace la dette.
Astuce : écrivez d’abord « Ce détail produit… » ; s’il ne produit rien, changez de preuve.
3) Paragraphe modèle — IV,3 : Monsieur Dimanche (hypocrisie en action)
Cette scène expose l’hypocrisie comme art du temps : Dom Juan retarde, détourne, caresse la phrase jusqu’à épuiser l’autre. La politesse surabondante n’est pas un masque aimable, c’est un outil de congédiement. L’anaphore des compliments installe un tapis sonore où la dette s’efface ; les périphrases gonflent le vide ; le créancier s’incline avant de s’apercevoir qu’il s’en va. Le comique n’annule pas la critique : il la rend visible. On sort avec l’impression d’un paiement effectué ; en vérité, rien n’a été réglé sinon la présence gênante de Monsieur Dimanche. Ainsi, Molière fait du langage une monnaie frelatée : l’échange paraît correct, la justice ne passe pas.
4) Trois sujets prêts à l’emploi (reformulez à votre manière)
- Portrait indirect et horizon tragique.
Comment le portrait inaugural par Sganarelle (I,2) installe-t-il un rire inquiet qui prépare la chute de Dom Juan ? - Dom Juan, rhétorique et pouvoir.
En quoi la parole du héros — mimée, exhibée, retournée — devient-elle l’instrument même de sa domination, puis de son échec ? - Hypocrisie sociale.
Comment la scène de Monsieur Dimanche (IV,3) transforme-t-elle la politesse en stratégie d’effacement de la dette ?
5) Rewriting minute — densifier sans alourdir
Avant (faible).
« Molière critique Dom Juan parce qu’il n’est pas gentil et il refuse d’aider les pauvres. »
Après (mieux).
« En refusant l’aumône, Dom Juan retire au libertinage son vernis brillant et pose une éthique du refus : le comique se tait, l’inhumain apparaît. »
Geste à reproduire : verbe précis (retire/pose), double mouvement (se tait/apparaît), pas d’adjectifs mous.
6) Ce que l’examinateur guette (et qu’on peut lui donner)
Il cherche une problématique ciblée, des idées-phrases par axe, des citations brèves intégrées au fil, un procédé qui conduit à un effet (et non l’inverse), des transitions qui marchent, une conclusion qui répond. Il lit aussi la respiration : paragraphes équilibrés, pas de tunnels, pas de listes sèches. Donnez-lui exactement cela. Rien d’autre n’est exigé.
7) Grille de relecture ultra-brève (à faire juste avant de rendre)
- Ma problématique tient en une question précise, focalisée sur l’extrait.
- Chaque axe s’ouvre par une phrase pleine (ce que le texte fait).
- Mes citations font 3–10 mots et sont commentées aussitôt.
- Je lie au moins un procédé → un effet par axe.
- Mes transitions ferment et ouvrent ; ma conclusion répond et ouvre.
- Langue sobre, pas de méta-langage lourd (« nous allons montrer que… » évité).
8) Chute de la suite — garder le cap
Le commentaire composé n’est pas une chasse au trésor de procédés ; c’est un chemin de lecture. Une idée claire, des preuves courtes, un effet net. Dom Juan vous tend la main : riez quand la verve emporte, méfiez-vous quand la rhétorique brille, écoutez le moment où le silence gagne. Si votre texte transmet ce voyage — de la charge au châtiment —, l’essentiel est là.






